Fiche n° 526 : Le Monde selon Eve de Collectif
Couverture :
Résumé :
Huit auteurs ont pris Ève par la main, afin de vous offrir leurs visions, mythes ou métaphores sur celle qui fut la première Mère. Réinventée de page en page, son histoire nous rappelle que ses filles qu’on va, aujourd’hui, jusqu’à empêcher de naître, ont un rôle primordial à jouer dans l’avenir de l’humanité. Tantôt maternelle ou féroce, c’est au passé comme au futur que nous lui laissons ici la parole.
Les bénéfices sur la vente de ce livre seront reversés à une association d’aide à la scolarisation des petites filles en Inde.
Informations complémentaires :
http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=36267
Mon avis :
Il n'est jamais aisé de bâtir une anthologie de nouvelles, un exercice qui, bien souvent, peut se révéler casse-gueule ; et je dirais d'autant plus quand le thème de ladite anthologie est d'apparence aussi banale que celui proposé par les éditions Voyel, à savoir Eve. Non pas Adam et Eve. Eve. L'accent est clairement mis sur la femme, celle qui mangea le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, allant à l'encontre des avertissements de Dieu. Rien que ça.
Nous retrouvons huit auteurs au sommaire de cette anthologie. Quatre femmes, et quatre hommes. Corinne Guitteaud, l'anthologiste affirme dans sa préface qu'il « n'est pas question ici d'affirmer ici la supériorité d'un sexe par rapport à l'autre, mais bien de rappeler leur complémentarité. » L'effort est louable, le portrait un peu idyllique car, à la lecture de l'anthologie, on constate – et c'est vraiment palpable – que les auteurs masculins ne se sont pas du tout appropriés le sujet de la même façon, ni avec la même vigueur que leurs collègues femmes. Loin de moi l'idée de juger, je ne dis pas que c'est mal d'ailleurs, mais – hormis peut-être la nouvelle de Léa Silva – le féminisme est au cœur du sujet, on le sait dès le quatrième de couverture, tout comme l'émancipation de la femme. L'on s'en fera une très bonne idée en parcourant les nouvelles de Ketty Steward, Nathalie Le Gendre et Sara Doke.
Mais passons donc aux nouvelles qui composent ce Monde selon Eve.
L'anthologie s'ouvre de façon astucieuse sur un texte de Hans Delrue intitulé Genèse. Il nous raconte par le biais de points de vue alternés (tous à la première personne du singulier) le retour vers la Terre d'un vaisseau d'exploration. Le hic, la Terre a été détruite et ils sont les seuls survivants de l'humanité, avec une seule femme à bord... L'idée n'est pas neuve, mais aurait pu être intéressante. Sauf qu'ici, l'écriture est souvent malhabile, et le fond du sujet (la destruction de certains livres clefs de l'humanité) s'avère vain. Et la chute ne rattrape pas le reste. Ce premier essai est donc une déception mais, comme nous le verrons par la suite, se révèle également le texte le plus faible de l'ensemble. Dommage d'ouvrir sur celui-là.
Heureusement, nous enchaînons, sans avoir le temps de nous poser de questions sur 333, une nouvelle de la belge Sara Doke (que nous voyons souvent ces temps-ci dans la revue Fiction). Tout ici, tourne autour de neuf femmes à trois stades différents de leur évolution : jeune fille, femmes, vieilles femmes ; trois principalement nous sont décrites : les plus jeunes. Elles sont rassemblées, visiblement pour une mystérieuse invocation... nouvelle extatique, incantatoire, terriblement mordante, cynique, voire cruelle, 333 remet la femme devant son miroir et l'interroge sur elle-même, son rêve d'émancipation, et ses contradictions. Sara Doke emporte très vite l'adhésion du lecteur, et sa belle écriture sert parfaitement son propos, tout l'inverse de Genèse : après un faible départ, l'anthologie est placée sur de (très) bons rails.
D'autant qu'elle est suivie par l'autre grand morceau, à mon sens, de ce Monde selon Eve, Mater Noster. Dans cette nouvelle, Nicholas Eustache nous entraîne dans le sillage d'Adam, Eve... et Lilith (dans la mystique juive Lilith aurait précédé Eve). Malgré parfois une légère emphase et quelques imprécisions stylistiques (après que + subjonctif j'ai du mal) nous sommes vite plongés dans un récit narrativement impeccable de bout en bout. Si nous devinons les enjeux du texte – et notamment le but de sa double narration – assez rapidement, reconnaissons la maîtrise là où elle se trouve et tirons notre chapeau à Nicholas Eustache. Sa pirouette finale, fort poétique, achève de nous convaincre positivement. Un excellent moment de lecture.
J'ai un gros problème avec le texte suivant : Elle(s) de Nathalie Le Gendre. La talentueuse auteure de Mosa Wosa et des Orphelins de Naja ne nous livre absolument pas une nouvelle, ne nous raconte pas une histoire, mais nous plonge dans un catalogue (très bien écrit cela dit) des misères de la femme dans le monde et dans le temps. Jusqu'au bout, on pense qu'il y a une astuce, un truc, mais non. Son texte est plus un pamphlet qu'une fiction, et rejoint (au raccroc) ce que dit Corine Guitteaud dans sa préface : « il n'est pas question ici d'affirmer ici la supériorité d'un sexe par rapport à l'autre, mais bien de rappeler leur complémentarité ». Certes, mais tout le long du texte, les hommes en prennent plein la tronche, sont tous responsables des malheurs du monde, etc. Mais à la fin, nous sommes ravis d'apprendre que nous ne sommes pas éventuellement peut-être on ne sait jamais allez savoir après tout que des bites sur pattes. Bon, un texte ultra féministe qui évidemment m'a dérangé (et en ce sens Nathalie Le Gendre peut considérer avoir réussi son pari) parce que terriblement réducteur. Cela dit, ce qui m'ennuie le plus, c'est de constater qu'on ne m'a pas raconté d'histoire. Nathalie Le Gendre a sans doute été submergée par le thème de l'anthologie et visiblement trop impliquée émotionnellement. Pourra-t-on vraiment le lui reprocher ?
Troisième temps fort de l'anthologie : Anima de Julien Morgan. Dans un vaisseau colonial, une IA se rebelle et veut tuer tous les hommes parce qu'il seraient tous de dangereux psychopathes. Diego est réveillé de sa stase pour arranger le coup et convaincre l'IA d'inverser le processus. Pourquoi lui ? Son anima (référence à Jung pour ceux que ça intéresse) serait plus féminine que masculine ; grâce à son caractère il pourrait convaincre l'IA que tous les hommes ne sont pas les mêmes brutes épaisses ! D'abord, notons que, comme pour Nicolas Eustache, Julien Morgan possède un style clair et limpide. Il y a encore des imperfections, des imprécisions et maladresses mais Julien Morgan a du talent. Nous suivons les aventures de Diego avec beaucoup de plaisir, malgré une fin un peu brouillonne et rapide. Le twist final aurait pu être beaucoup mieux négocié. Mais ces quelques bémols n'entachent pas trop une vue d'ensemble plus que positive. Un auteur à suivre de très près.
Je passerai très vite sur Louve de Léa Silva. Il s'agit du texte le plus faible du lot après Genèse. Après l'apocalypse (due à un virus) quelques enfants survivants, dont Louve, se réfugient dans une maison avec un type appelé Le Maître. Poncifs, naïveté, incohérences internes, chute téléphonée, tout y est sauf une chose : le texte n'est pas foncièrement mal écrit, il est même plutôt fluide malgré quelques excès stylistiques et des maladresses de débutante. Léa Silva doit être très jeune, on sent dans son écriture qu'elle est encore un peu tendre.
La maladie du ver à soie de Ketty Steward est certes plus maîtrisé question écriture même si là aussi tout n'est pas parfait, loin de là. L'auteur nous dépeint une société renfermée sur elle-même, sorte de colonie refuge (lassant ce poncif quand même d'associer souvent une « nouvelle » genèse du futur à des colonies ou des vaisseaux coloniaux, même si le champ d'exploration du thème est peut-être limité.) où les hommes et les femmes ont effacé physiquement et mentalement leurs caractères sexuels (on ne dit plus elle mais el). Par la métaphore de son titre cette nouvelle veut nous montrer que toute société humaine qui gomme ses caractères génétiques, et donc sexuels, est vouée à l'échec. Jusque là, bon, d'accord, même si ça ouvre le débat. Mais le texte de Ketty Steward ne fonctionne pas toujours très bien, alourdi par un trop fort didactisme et des ficelles un peu grosses. Elle cite Colette : « Les femmes libres ne sont plus des femmes » et ajoute que Colette était une « esclave des temps anciens, prisonnière de ses désirs de liberté et de son conditionnement culturel « . Oui, mais Colette disait aussi en substance qu'on ne peut être femme que quand on s'est dépouillée de l'amour. Or Ketty Steward va à l'encontre de ce précepte puisqu'elle installe le ver dans la pomme et prend un certain plaisir à détruire cette société asexuée qu'elle nous décrit (pour plus ou moins rétablir l'ordre des choses), et qui pourtant semble coller avec la philosophie de Colette portée comme un étendard tout le long de la nouvelle. Même, finalement, sa nouvelle nomenclature de déterminants (els, el, illes, il) ne fonctionne pas très bien au niveau technique, son monde est tout de même étrangement féminin, (parfois l'auteur se trompe d'ailleurs, on retrouve un « elles » qui traîne...) bien qu'on puisse lui accorder qu'au niveau poétique, là oui. Au final, que retenir de cette nouvelle ? Deux choses : elle n'atteint pas les objectifs qu'elle s'est fixée ; mais, malgré tout, elle pose des questions, et on ne peut lui enlever ce mérite-là.
Enfin, avec Charmants Enfants, Bernard Weiss conclut à merveille cette anthologie. Son histoire, bien racontée, plus proche de Rosny-aîné l'auteur de romans préhistoriques que de … Nicholas Eustache par exemple, fonctionne très bien. Sur fond de voyage dans le temps, il nous emmène dans une échevelée et abracadabrante aventure dont Eve est l'héroïne. Un texte léger, parfait comme dessert.
7/10 Il n'est pas dans notre intention de montrer une dichotomie hommes/femmes dans cette anthologie mais force est de constater que les auteurs ne se sont pas emparés du thème d'Eve comme les auteures. Beaucoup plus impliquées émotionnellement, les femmes ont choisi d'explorer des visions plus radicales, oubliant parfois de nous emporter dans leur histoire. Mais c'est aussi ce qui fait la force de cette bonne anthologie. On y découvre un panel de tonalités varié et intéressant, avec trois auteurs particulièrement inspirés (Sara Doke, Julien Morgan, et surtout Nicholas Eustache), d'autres intéressants (Steward, Weiss, et dans une moindre mesure Le Gendre), et enfin deux textes ratés (Delrue, Silva). Autre bonne raison d'acheter l'ouvrage, tous les droits sont reversés à une association d'aide à la scolarisation des petites filles en Inde. Et ça, c'est vraiment une très belle initiative des éditions Voyel. Bravo, d'autant que l'objet, à la maquette soignée, est plutôt agréable à feuilleter.
L'ex d'ici et d'à côté
Résumé :
Huit auteurs ont pris Ève par la main, afin de vous offrir leurs visions, mythes ou métaphores sur celle qui fut la première Mère. Réinventée de page en page, son histoire nous rappelle que ses filles qu’on va, aujourd’hui, jusqu’à empêcher de naître, ont un rôle primordial à jouer dans l’avenir de l’humanité. Tantôt maternelle ou féroce, c’est au passé comme au futur que nous lui laissons ici la parole.
Les bénéfices sur la vente de ce livre seront reversés à une association d’aide à la scolarisation des petites filles en Inde.
Informations complémentaires :
http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=36267
Mon avis :
Il n'est jamais aisé de bâtir une anthologie de nouvelles, un exercice qui, bien souvent, peut se révéler casse-gueule ; et je dirais d'autant plus quand le thème de ladite anthologie est d'apparence aussi banale que celui proposé par les éditions Voyel, à savoir Eve. Non pas Adam et Eve. Eve. L'accent est clairement mis sur la femme, celle qui mangea le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, allant à l'encontre des avertissements de Dieu. Rien que ça.
Nous retrouvons huit auteurs au sommaire de cette anthologie. Quatre femmes, et quatre hommes. Corinne Guitteaud, l'anthologiste affirme dans sa préface qu'il « n'est pas question ici d'affirmer ici la supériorité d'un sexe par rapport à l'autre, mais bien de rappeler leur complémentarité. » L'effort est louable, le portrait un peu idyllique car, à la lecture de l'anthologie, on constate – et c'est vraiment palpable – que les auteurs masculins ne se sont pas du tout appropriés le sujet de la même façon, ni avec la même vigueur que leurs collègues femmes. Loin de moi l'idée de juger, je ne dis pas que c'est mal d'ailleurs, mais – hormis peut-être la nouvelle de Léa Silva – le féminisme est au cœur du sujet, on le sait dès le quatrième de couverture, tout comme l'émancipation de la femme. L'on s'en fera une très bonne idée en parcourant les nouvelles de Ketty Steward, Nathalie Le Gendre et Sara Doke.
Mais passons donc aux nouvelles qui composent ce Monde selon Eve.
L'anthologie s'ouvre de façon astucieuse sur un texte de Hans Delrue intitulé Genèse. Il nous raconte par le biais de points de vue alternés (tous à la première personne du singulier) le retour vers la Terre d'un vaisseau d'exploration. Le hic, la Terre a été détruite et ils sont les seuls survivants de l'humanité, avec une seule femme à bord... L'idée n'est pas neuve, mais aurait pu être intéressante. Sauf qu'ici, l'écriture est souvent malhabile, et le fond du sujet (la destruction de certains livres clefs de l'humanité) s'avère vain. Et la chute ne rattrape pas le reste. Ce premier essai est donc une déception mais, comme nous le verrons par la suite, se révèle également le texte le plus faible de l'ensemble. Dommage d'ouvrir sur celui-là.
Heureusement, nous enchaînons, sans avoir le temps de nous poser de questions sur 333, une nouvelle de la belge Sara Doke (que nous voyons souvent ces temps-ci dans la revue Fiction). Tout ici, tourne autour de neuf femmes à trois stades différents de leur évolution : jeune fille, femmes, vieilles femmes ; trois principalement nous sont décrites : les plus jeunes. Elles sont rassemblées, visiblement pour une mystérieuse invocation... nouvelle extatique, incantatoire, terriblement mordante, cynique, voire cruelle, 333 remet la femme devant son miroir et l'interroge sur elle-même, son rêve d'émancipation, et ses contradictions. Sara Doke emporte très vite l'adhésion du lecteur, et sa belle écriture sert parfaitement son propos, tout l'inverse de Genèse : après un faible départ, l'anthologie est placée sur de (très) bons rails.
D'autant qu'elle est suivie par l'autre grand morceau, à mon sens, de ce Monde selon Eve, Mater Noster. Dans cette nouvelle, Nicholas Eustache nous entraîne dans le sillage d'Adam, Eve... et Lilith (dans la mystique juive Lilith aurait précédé Eve). Malgré parfois une légère emphase et quelques imprécisions stylistiques (après que + subjonctif j'ai du mal) nous sommes vite plongés dans un récit narrativement impeccable de bout en bout. Si nous devinons les enjeux du texte – et notamment le but de sa double narration – assez rapidement, reconnaissons la maîtrise là où elle se trouve et tirons notre chapeau à Nicholas Eustache. Sa pirouette finale, fort poétique, achève de nous convaincre positivement. Un excellent moment de lecture.
J'ai un gros problème avec le texte suivant : Elle(s) de Nathalie Le Gendre. La talentueuse auteure de Mosa Wosa et des Orphelins de Naja ne nous livre absolument pas une nouvelle, ne nous raconte pas une histoire, mais nous plonge dans un catalogue (très bien écrit cela dit) des misères de la femme dans le monde et dans le temps. Jusqu'au bout, on pense qu'il y a une astuce, un truc, mais non. Son texte est plus un pamphlet qu'une fiction, et rejoint (au raccroc) ce que dit Corine Guitteaud dans sa préface : « il n'est pas question ici d'affirmer ici la supériorité d'un sexe par rapport à l'autre, mais bien de rappeler leur complémentarité ». Certes, mais tout le long du texte, les hommes en prennent plein la tronche, sont tous responsables des malheurs du monde, etc. Mais à la fin, nous sommes ravis d'apprendre que nous ne sommes pas éventuellement peut-être on ne sait jamais allez savoir après tout que des bites sur pattes. Bon, un texte ultra féministe qui évidemment m'a dérangé (et en ce sens Nathalie Le Gendre peut considérer avoir réussi son pari) parce que terriblement réducteur. Cela dit, ce qui m'ennuie le plus, c'est de constater qu'on ne m'a pas raconté d'histoire. Nathalie Le Gendre a sans doute été submergée par le thème de l'anthologie et visiblement trop impliquée émotionnellement. Pourra-t-on vraiment le lui reprocher ?
Troisième temps fort de l'anthologie : Anima de Julien Morgan. Dans un vaisseau colonial, une IA se rebelle et veut tuer tous les hommes parce qu'il seraient tous de dangereux psychopathes. Diego est réveillé de sa stase pour arranger le coup et convaincre l'IA d'inverser le processus. Pourquoi lui ? Son anima (référence à Jung pour ceux que ça intéresse) serait plus féminine que masculine ; grâce à son caractère il pourrait convaincre l'IA que tous les hommes ne sont pas les mêmes brutes épaisses ! D'abord, notons que, comme pour Nicolas Eustache, Julien Morgan possède un style clair et limpide. Il y a encore des imperfections, des imprécisions et maladresses mais Julien Morgan a du talent. Nous suivons les aventures de Diego avec beaucoup de plaisir, malgré une fin un peu brouillonne et rapide. Le twist final aurait pu être beaucoup mieux négocié. Mais ces quelques bémols n'entachent pas trop une vue d'ensemble plus que positive. Un auteur à suivre de très près.
Je passerai très vite sur Louve de Léa Silva. Il s'agit du texte le plus faible du lot après Genèse. Après l'apocalypse (due à un virus) quelques enfants survivants, dont Louve, se réfugient dans une maison avec un type appelé Le Maître. Poncifs, naïveté, incohérences internes, chute téléphonée, tout y est sauf une chose : le texte n'est pas foncièrement mal écrit, il est même plutôt fluide malgré quelques excès stylistiques et des maladresses de débutante. Léa Silva doit être très jeune, on sent dans son écriture qu'elle est encore un peu tendre.
La maladie du ver à soie de Ketty Steward est certes plus maîtrisé question écriture même si là aussi tout n'est pas parfait, loin de là. L'auteur nous dépeint une société renfermée sur elle-même, sorte de colonie refuge (lassant ce poncif quand même d'associer souvent une « nouvelle » genèse du futur à des colonies ou des vaisseaux coloniaux, même si le champ d'exploration du thème est peut-être limité.) où les hommes et les femmes ont effacé physiquement et mentalement leurs caractères sexuels (on ne dit plus elle mais el). Par la métaphore de son titre cette nouvelle veut nous montrer que toute société humaine qui gomme ses caractères génétiques, et donc sexuels, est vouée à l'échec. Jusque là, bon, d'accord, même si ça ouvre le débat. Mais le texte de Ketty Steward ne fonctionne pas toujours très bien, alourdi par un trop fort didactisme et des ficelles un peu grosses. Elle cite Colette : « Les femmes libres ne sont plus des femmes » et ajoute que Colette était une « esclave des temps anciens, prisonnière de ses désirs de liberté et de son conditionnement culturel « . Oui, mais Colette disait aussi en substance qu'on ne peut être femme que quand on s'est dépouillée de l'amour. Or Ketty Steward va à l'encontre de ce précepte puisqu'elle installe le ver dans la pomme et prend un certain plaisir à détruire cette société asexuée qu'elle nous décrit (pour plus ou moins rétablir l'ordre des choses), et qui pourtant semble coller avec la philosophie de Colette portée comme un étendard tout le long de la nouvelle. Même, finalement, sa nouvelle nomenclature de déterminants (els, el, illes, il) ne fonctionne pas très bien au niveau technique, son monde est tout de même étrangement féminin, (parfois l'auteur se trompe d'ailleurs, on retrouve un « elles » qui traîne...) bien qu'on puisse lui accorder qu'au niveau poétique, là oui. Au final, que retenir de cette nouvelle ? Deux choses : elle n'atteint pas les objectifs qu'elle s'est fixée ; mais, malgré tout, elle pose des questions, et on ne peut lui enlever ce mérite-là.
Enfin, avec Charmants Enfants, Bernard Weiss conclut à merveille cette anthologie. Son histoire, bien racontée, plus proche de Rosny-aîné l'auteur de romans préhistoriques que de … Nicholas Eustache par exemple, fonctionne très bien. Sur fond de voyage dans le temps, il nous emmène dans une échevelée et abracadabrante aventure dont Eve est l'héroïne. Un texte léger, parfait comme dessert.
7/10 Il n'est pas dans notre intention de montrer une dichotomie hommes/femmes dans cette anthologie mais force est de constater que les auteurs ne se sont pas emparés du thème d'Eve comme les auteures. Beaucoup plus impliquées émotionnellement, les femmes ont choisi d'explorer des visions plus radicales, oubliant parfois de nous emporter dans leur histoire. Mais c'est aussi ce qui fait la force de cette bonne anthologie. On y découvre un panel de tonalités varié et intéressant, avec trois auteurs particulièrement inspirés (Sara Doke, Julien Morgan, et surtout Nicholas Eustache), d'autres intéressants (Steward, Weiss, et dans une moindre mesure Le Gendre), et enfin deux textes ratés (Delrue, Silva). Autre bonne raison d'acheter l'ouvrage, tous les droits sont reversés à une association d'aide à la scolarisation des petites filles en Inde. Et ça, c'est vraiment une très belle initiative des éditions Voyel. Bravo, d'autant que l'objet, à la maquette soignée, est plutôt agréable à feuilleter.
L'ex d'ici et d'à côté