Fiche n° 612 : Avant-Première : Lamentation (Les Psaumes d'Isaak 1) de Ken Scholes
Couverture :
Résumé :
Windwir, la cité où reposait tout le savoir du monde, vient d’être Anéantie !
L’équilibre précaire des enjeux politiques est aussitôt rompu : la guerre est inévitable.
Apercevant la funeste colonne de fumée, Rudolfo, seigneur des Neuf Maisons Sylvestres, se précipite vers les ruines et s’empare du seul survivant : un automate métallique nommé Isaak qui, rongé par la culpabilité, affirme être la cause du drame… Mais dans l’ombre des ruines, Sethberg, prévôt des cités-États voisines, se prépare à la bataille et jubile en contemplant l’apogée de son plan de conquête.
L’aboutissement d’années de manipulation, de corruption et de mensonge… Si, il parvient à mettre la main sur Isaak, devenu l’objet de toutes les convoitises ! Le temps est venu pour Dame Jin Li Tam, concubine du prévôt, de faire un choix. Cette nuit, elle va user de ses arts cachés de guerrière pour s’enfuir...
Informations complémentaires :
http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=36937
Mon avis :
Après Scott Lynch en 2007, Jacqueline Carey en 2008, Patrick Rothfuss en 2009, c’est au tour de Ken Scholes de se voir bombarder « coup de cœur Bragelonne de l’année ». Mais que vaut ce cru 2010 ?
Un cru surprenant…
Assurément, le premier roman de Ken Scholes vaut le détour ; ne serait-ce que pour son univers à la croisée des chemins, entre fantasy, science-fiction et post-apo. Lamentation tiendrait ainsi (amoureux des étiquettes et des genres tarabiscotés, vous allez aimer !) de la science-fantasy post-apocalyptique (n’allez pas dire que je ne vous avais pas prévenu). En effet, on croise aussi bien des princes(ses) que des automates dans ce monde où la technologie et la magie sont autant de moyens de prendre l’ascendant sur les autres.
Au centre de ce monde, il y a feu Windwir où reposaient la Grande Bibliothèque et le savoir des âges passés. Et quand un monde en vient à perdre ses racines résulte un inévitable chaos ; ce qui, chez l’Homme, se traduit souvent par la Guerre. De tout côté, on affûte lames et couteaux et on envoie des oiseaux de métal nouer ou briser des alliances. Pour mieux conter la tragédie qui guette, Kenneth G. Scholes de son vrai nom suit à la trace quatre destins. A l’instar de Martin et de son trône de fer, le nom des personnages marque le changement de points de vue. Les personnages, parlons-en justement :
Rudolfo : roi tsigane et seigneur des Neuf Maisons Sylvestres, il est décrit comme « un homme redoutable, impitoyable et un peu trop coquet ».
Petronus : un pêcheur qui, dans une autre vie, a connu quelques succès dans les ordres.
Jin Li Tam : elle a épousé le prévôt Sethbert dans le seul but de l’espionner pour son père. Sa tâche devient plus ardue lorsqu’elle comprend que son mari pourrait bien être impliqué dans la destruction de Windwir.
Neb : un jeune moine qui a perdu sa famille dans la catastrophe.
Au cœur des intrigues, il y a Isaak, l’automate qui donne le nom à la série, un personnage fascinant par son statut d’original (vous en connaissez beaucoup des robots en fantasy ?), par la complexité de cet homme de métal et surtout, surtout par le secret qui semble tant l’accablé. Toutefois, il n’apparaît qu’à travers le regard des autres protagonistes.
Derrière ces cinq personnages, d’autres têtes apparaissent de manière plus ou moins ponctuelle.
Il est assez difficile de s’identifier aux personnages – principaux et secondaires – ou même, de s’attacher à eux. Dans cette pièce de théâtre, tous jouent le rôle pour lequel ils ont été formés, sans jamais avoir vraiment le choix si jamais ils l’ont eu. Contrecoup de cette absence de liberté, Rufolfo, Petronus, Jin et dans une moindre mesure, Ned tous laissent une impression de perfection (ils sont tous beaux, intelligents et forts) mais aussi de folie. Finalement, le plus humain du lot est tout habillé de métal. Derrière chacun des protagonistes, on sent les fils invisibles du marionnettiste, avant que l’ombre de celui-ci ne vienne carrément obscurcir l’intrigue dans les deux cents pages, alors que les fils – de l’intrigue cette fois-ci – prennent forme et dévoile un canevas époustouflant sur la folie des hommes et le poids du savoir.
… mais un peu en deça des précédents…
La faute à une plume jeune et maladroite. Plus ambitieux et original que ses prédécesseurs, Lamentation se révèle aussi moins abouti. Si le fond se révèle impeccable et surprenant, la forme, elle, pêche à de nombreux égards. Le style heurte : haché sans être mauvais, il empêche de se plonger sans arrière-pensée dans cet univers riche et complexe. Bien plus que les phrases courtes et la syntaxe simple, c’est l’addition de petites erreurs qui nuit à cette première partie en demi-teinte.
Par exemple, le choix de multiplier les points de vue dans les chapitres répètent inutilement certaines scènes. Par moment, le lecteur suit une seule et même scène selon différents angles sans que rien ne justifie cette position. De fait, on s’ennuie. Jamais beaucoup, jamais longtemps mais un peu quand même. De même, ces changements intempestifs de point de vue, s’il a sa légitimité vers la fin du récit, trouve ses limites dans la première partie où le lecteur est basculé d’un personnage à l’autre ; il s’agit peut-être d’une manière stylistique d’illustrer le cataclysme qui saisit son monde mais il n’en demeure pas moins que les premiers chapitres accusent le coup et se révèlent poussifs voire asthmatiques.
Ensuite, à de nombreuses reprises, on lit et relit certains passages tant il manque de fluidité ; a-t-on manqué une phrase ? Non, c’est bel et bien le style saccadé de l’auteur qui heurte. Enfin, on est déçu dans la première partie du roman du manque de souffle qui s’en dégage ; c’est ça l’onde de choc qui a bouleversé le monde ? L’auteur n’ouvre pas assez rapidement son univers, et seuls quatre personnages – qui se rencontrent rapidement au demeurant – nous permettent de nous faire une idée de ladite « onde de choc ».
Mises bout à bout, ces maladresses illustrent un auteur qui se cherche. Elles pourraient aussi être mises au crédit de la rapidité de la rédaction puisque Ken Scholes se targue d’avoir écrit son premier roman en moins de sept semaines ( !).
Le meilleur est à venir !
Toutefois, au fil des pages, ces maladresses se font moins présentes. L’auteur gagne peu à peu en assurance la seconde moitié tient du chef d’oeuvre. Rarement la folie des hommes aura été si bien mise en scène que dans cette fantasy aux relents de tragédie. Si l’on voulait faire une comparaison, il faudrait aller chercher non du côté de la fantasy mais de la SF avec des milliards de tapis de cheveux. Lorsque le roman s'emballe, il ne vous relâchera pas avant la fin – s’il veut bien le faire. Dans sa construction comme dans ses influences (qu’il fait plutôt chercher du côté de la vieille SF : Bradbury, Miller, Simak, etc.), Lamentation nouvelle étape dans l’édifice d’une fantasy moderne qui s’éloigne toujours plus de son modèle tolkiennien pour se perdre sur des chemins étranges et déroutants.
8,5/10 Au-delà des petites imperfections de la première moitié, il y a un roman original et éblouissant. Premier acte d’une tragédie qui en comptera cinq, il annonce une série de tout premier plan et, on l’espère, un renouveau de la science-fantasy, genre auquel trop peu d’auteurs ont voulu se confronter.
Simatural