Fiche n° 670 : Mais c'est à toi que je pense de Gary A. Braunbeck
Couverture :
Résumé :
La voiture de Mark Sieber tombe en panne alors qu’il rentre chez lui.
En attendant que son véhicule soit réparé, Mark loue une chambre pour la nuit dans le motel le plus proche. À peine installé, il est brutalement enlevé par un groupe d’inconnus. Lorsqu’il reprend connaissance, il se trouve en compagnie de trois enfants, Thomas (onze ans), Arnold (douze ans), Rebecca (quinze ans) et leur leader Christopher (vingt et un ans).
Horriblement défigurés et mutilés, ils viennent d’échapper à un tueur en série pédophile qui se fait appeler Grendel. Ils ont besoin d’un adulte pour les ramener à leurs parents, que certains n’ont pas vus depuis dix ans… et ils ont choisi Mark.
Informations complémentaires :
http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=36692
Mon avis :
En littérature, il y a deux types d’horreur. Celle avec les zombies, les vampires, les sorcières et tous ces monstres qui peuplent notre imaginaire, tous ces êtres dont la monstruosité marque, d’une manière ou d’une autre, leur physique même si celle-ci demande parfois à être révélée. Pour ceux-là, aussi horribles et laids soient-ils, on se dit que ce n’est pas vrai, que les zombies et les vampires, ça n’existe pas. Les sorcières non plus d’ailleurs. » Et même si ces monstres s’avèrent la métaphore de l’être humain, ou du moins, le grossissement de l’un de ses traits, on peut éviter de réfléchir et n’y voir que la présence d’éléments surnaturels et irréalistes.
« Alors vous regardez, mais vous ne voyez pas, parce que vous n’avez pas la force d’y penser ».
Et puis, il y a l’horreur avec des Hommes, rien que des hommes et des femmes. Cette horreur est souvent plus marquante, plus dérangeante, car plus proche de nous et donc plus difficile à oublier, à cacher. Et même si on se dit que les serial-killer, ça n’existe qu’aux States, les pédophiles qu’au Vatican et les bébés dans les frigos que dans les petits villages qui comptent plus de vaches que d’habitants, même si on tente de se persuader que ce n’est pas vrai, que cela ne peut pas être vrai, que ce n’est qu’une histoire inventée par l’esprit dérangé d’un scénariste/écrivain, on n’arrive pas à ignorer totalement l’humanité dans cette horreur. Le simple fait qu’elle mette en scène des hommes et des femmes nous amène inévitablement à nous confronter à nous même. On ne peut plus se cacher les yeux et se mentir. Même romancé, l’horreur existe et son visage est terriblement humain. C’est à toi que je pense appartient, à l’instar d’ Une fille comme les autres de Ketchum ou de La Rédemption du Marchand de Sable de Piccirilli à cette seconde catégorie que nous qualifierons – à défaut de mieux – d’« horreur réaliste ».
Tandis qu’ Une fille comme les Autres tirait sa force de sa véracité (Ketchum s’étant inspiré d’un « fait divers »), Mais c’est à toi que je pense tire… sur toutes les cordes. En guitariste chevronné, Gary A. Braunbeck gratte toutes les cordes de l’âme humaine. On rit – parfois –, on a les larmes aux yeux – plus souvent –, et, la plupart de temps, on ne sait pas trop ce que l’on ressent alors que l’on passe par tout un panel de sentiments indéfinissables dont on ne sait même pas si quelqu’un leur a déjà attribué un nom. Ainsi, certains passages exp(l)osent de tout un tas d’émotions. Quand un sujet aussi difficile et touchant que « les enfants disparus » s’avère aussi bien traité – avec justesse et intelligence – essayez donc de convaincre votre cœur de ne pas s’attacher à Mark et aux enfants.
Trop en faire ou asséner via des scènes-chocs une leçon au lecteur, voilà quelques-uns des pièges que l’on peut rencontrer dans ce genre d’entreprise traitant de sujet sensible. Ce que ne cherche jamais à faire Braunbeck. Par son héros lambda qui mène une vie lambda avec problèmes lambda, mais aussi par des anecdotes, de petits détails, des références et de l’humour (!), l’auteur américain accroche son lecteur et l’emmène avec Mark au cœur de cette tragédie. Choquer en traitant d’un thème comme « les enfants disparus » ou la pédophilie, c’est facile. Gary Braunbeck ne cherche pas la facilité, il ne cherche pas à choquer son lecteur ni à lui faire la leçon ; il partage une histoire : une histoire qui ne lui appartient pas, une histoire « fausse mais vraie », une histoire de petites vies brisées par l’horreur d’un drame et qui tentent tant bien que mal de se reconstruire, de se trouver et de se retrouver.
Ainsi, dès les premières pages, il donne tord à la mention « thriller » de la couverture et désamorce tout suspense. Là ne réside pas l’intérêt de C’est à toi que je pense qui se rapproche plus du roman noir. On ne lit pas pour démasquer le bourreau mais pour découvrir comment vont ses victimes vont réussir à retrouver leur famille.
La qualité de cette histoire et surtout sa capacité à vous toucher, à vous aller droit au cœur tient aux bons choix de son auteur. Le choix d’un style simple et fluide (impeccablement traduit par Benoit Domis) au service de l'histoire. Le choix de ne pas juste donner dans le dramatique ou de ne pas donner de leçon à son lecteur. Le choix d’un narrateur à l’humour facile qui lui permet de renforcer les passages plus sombres qui tranchent avec le reste du roman. Bref, le choix d'un ton léger pour un thème lourd. Ainsi, lorsque l’histoire se fait noire, elle vous met carrément la boule à ventre ou le cœur au bord des lèvres ; et lorsqu’elle se fait plus légère, ce sont ces mêmes lèvres qui s’étireront, ce même cœur qui se gonflera lors des scènes de « petites joies » de ses enfants ou bondira lorsque le danger se fera ressentir. A ce titre, certaines scènes (par exemple, celle où les enfants redécouvrent le langage) seraient presque jolies, presque drôles si l’on arrivait à oublier l’horreur tout autour. Toutefois, l’obscurité de l’âme humaine n’arrive jamais totalement à éclipser la lumière, et même si certains passages brûlent d’une horreur parfois difficilement supportable, la flamme de l’espoir vacille certes, mais ne s’éteint pas.
9/10 Un roman touchant, poignant et « vrai » qui retrace avec beaucoup de justesse et d’intelligence un sujet tabou, et surtout, une réalité de notre monde : C’est à toi que je pense, c’est un peu comme le post-it collé depuis trop longtemps sur votre frigo : on n’est jamais heureux de le voir parce qu’il nous rappelle quelque chose que l’on préfèrerait oublier mais on le laisse, parce qu’oublier ne résout rien. Et même si C’est à toi que je pense est selon les dires de l’éditeur le « chef d’œuvre » de l’auteur, on aimerait quand même découvrir le reste de sa production puisque, derrière ce grand roman se cache sans nul doute un grand écrivain.
Simatural