Fiche n° 676 : 1794 (L'Enjomineur 3) de Pierre Bordage
Couverture :
Résumé :
"Prisonnier dans la cage d'or de Mithra, égaré dans le labyrinthe de l'hamoa, l'élixir de la mémoire et de l'immortalité, fasciné par les yeux jaunes du Père des Pères sous la cagoule, Emile ne sait plus: est-il bien l'enfant d'une fée? Est-il l'Atar de la fin des temps, le roi des rois dont l'avènement approche, puisque Terreur et Révolution ne sont qu'une étape d'un projet séculaire? Que reste-t-il alors des filles des eaux et de la mission à lui confié par Mélusine?
"l'esprit du mal change en haine la souffrance des hommes, il les dresse les uns contre les autres." Dans l'Ouest la guerre civile fait rage. Tantôt Bleu, tantôt combattant de l'armée catholique et royale, Cornuaud, lui, traverse à grands pas fougueux la Vendée en flammes, toujours possédé par la sorcière africiane, et regagne Nantes où Carrier fait de la Loire la "baignoire nationale" de la répression.
Informations complémentaires :
http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=20046
Mon avis :
L'enjomineur fait partie de ces bouquins où le mot "fin", presque cruel, vous laisse un peu orphelin, abandonné par les héros que vous avez suivi tout au long de ces pages. Autant le dire tout de suite, ce troisième volume tient toutes ses promesses, c'est même le meilleur de la série, alliant combat, intrigue et amour dans une atmosphère hautement tragique: celle de la guerre civile. Et ce n'est rien de dire que Pierre Bordage insiste sur les affres et les horreurs qui submèrgent cette France révolutionnaire déchirée, manipulée dans l'ombre par une orgnaisation millénaire. En créant la secte de Mithra, P. Bordage s'approprie en quelques sortes le cours des évènements, diabolisant les dérives révolutionnaires et les rendant indéfendables en tant qu'action insidieuse de l'esprit du mal. C'est un choix de l'auteur, aussi faut-il, davantage que dans le premier tome par exemple, considérer définitivement cet ouvrage comme une fiction et non plus comme un roman historique teinté de fantasy. Car même si la plupart des faits relatés ont eus lieu, l'occulatation d'une partie de l'argumentaire révolutionnaire (remplacé par la logique de la secte de Mithra) fait que la lecture des évènements comme des personnages (90% des révolutionnaires sont alcoolos ^^) est -volontairement au demeurant- biaisée. Ceci étant dit, j'en profite pour évoquer un des rares bémols de cet ouvrage, à savoir certains paragraphes où l'auteur développe un argumentaire fustigeant les incohérences du discours révolutionnaire, qui peuvent être utiles pour les personnes qui ne connaissent pas du tout la période et qui ont envie d'être "guidées", m'ont paru plutôt lourds, d'autant qu'ils synthétisent parfois des éléments distillés subtilement au cours des pages précédentes (ce reproche est aussi valable pour les paragraphes parfois répétitifs qui expliqent la pensée de la sorcière africaine).
Mais évoquons maintenant la grande force de cette trilogie: l'immersion, l'envoûtement même, et ce grâce aux recherches de l'auteur d'une part, grâce à sa très bonne plume d'autre part. Et oui, il faut bien le dire, P. Bordage a un vrai don pour dépeindre les environnements dans lesquels baignent ses personnages, qu'ils soient buccoliques ou citadins, et l'on se laisse transporter avec un réel plaisir au fil des pages (la grande qualité des éditions de "L'Atalante" apporte par ailleurs un vrai plus), d'autant que dans ce troisième tome la variété est de mise. Paris, Nantes, la Vendée, on parcourt ces trois univers avec un mélange de curiosité, de fascination et voire même de dégoût. A titre personnel, j'insiste sur ce caractère subjectif car certains lecteurs pourraient penser exactement le contraire, j'ai particulièrement aimé les passages dans l'Ouest, et en particulier dans le bocage vendéen. En effet, si la trame autour de la secte de Mithra ne manque pas d'intérêt, elle ne m'a jamais autant captivé que les courses folles au milieu des chemins creux, dans ce pays bocager à feu et à sang que parcourent encore les créatures de la lune et où le danger, mais aussi le mystère, guettent derrière chaque talus. Ces moments m'on tellement captivé que mon plus grand regret, au moment où j'ai définitivement fermé ce livre, était que l'auteur ne se soit pas davantage focalisé sur la vie des protagonistes -bleus et blancs- dans ce département transformé en enfer, dans ce pays qui, pour reprendre le quatrième de couverture, est l'enjomineur. J'aurais aimé ainsi qu'outre les convictions politiques, morales ou autres qui poussent les protagonistes à se battre, on découvre davantage encore leur vécu quotidien en ces temps difficiles. Si je dis cela c'est que les aventures de Cornuaud et d'Angélique de Béjarre, d'Emile et de Pierre-Marie, sont aussi tragiques que captivantes et, à mesure que la fin s'approche, touchantes, si bien qu'on regrette qu'elles n'aient pas durées plus longtemps. Après, encore une fois, ce n'est que mon ressenti, certains préfèreront sûrement l'univers des sectionnaires de Nantes où les catacombes de la l'organisation de Mithra.
Je ne vais pas m'épancher davantage sur la question car la fin de cet ouvrage fut à la hauteur de mes attentes (juste une remarque, p. 475 de l'édition de "L'Atalante", ce rebondissement est à mon avis de trop, je n'en dis pas plus, ce n'est pas très important par ailleurs), et je ne peux qu'espérer que les initiatives de la sorte, à savoir de la fantasy ayant pour cadre des épisodes historiques, continueront à voir le jour.
8.5/10 Ce troisième tome conclut parfaitement une trilogie qui, du coup, prend toute son ampleur. L'enjomineur c'est un voyage sans pareil dans un univers sombre et sanglant, où la magie, bien que discrète, est indissociable de la destinée de l'Homme. Lire cette trilogie coup de coeur de Bordage, c'est s'embarquer dans un voyage aussi sombre que poignant.
Léo