Fiche n° 667 : La Horde noire de Paul Z. Wood
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http://www.critic.fr/detail_livre.php?livre=36795
Mon avis :
L'affaire est grave. Si, vraiment. Il y a quelques jours, mon frère jumeau que nous nommerons généreusement « X » m'envoyait un email ravageur, concernant un roman paru récemment : La Horde Noire, d'un certain Paul Z Wood. Voici ce qu'il en disait : Je ne jure jamais mais cette fois-ci j'ai envie de crier « Oh mon Dieu ! ». Je viens de finir la Horde Noire de Paul Z Wood, un roman de fantasy humoristique. Enfin, humoristique, c'est un bien grand mot. Il est d'ailleurs sous-titré « pathetic fantasy » ; oui, du pathos, de la souffrance, il en faut pour se fader ces cent soixante pages de vulgarité à en faire pâlir de jalousie Jean-Marie Bigard. Franchement, n'importe quelle ligne de Marc Levy passerait, après ça, pour de la poésie rimbaldienne. C'est vulgaire, oui, moche, caca-pipi, bourré de clichés même pas très bien parodiés. C'est pas que le gars écrive mal, non, mais faudrait peut-être qu'il arrête l'humour illico, ça va lui porter préjudice. Y'a tellement de trucs dégueulasses à relever que je t'épargne cette torture. Franchement, ce roman ne nous arrache même pas un sourire. Même Des Fleurs pour Algernon est plus drôle, tu imagines ? ».
Le fait est que, non, votre serviteur n'imagine pas. Bref. Piqué par une curiosité malsaine, je me suis procuré cette fameuse horde noire, pour voir de quoi il retournait réellement. Franchement, pas de quoi fouetter un chat, même chat-do-maso (ahahah, votre serviteur aussi est drôle). Au contraire, j'y ai trouvé une telle puissance d'évocation que je me suis dit : « Ben zut alors, je crois qu'on tient le nouveau Voltaire, ou le nouveau Diderot, allez savoir. » Du coup, étant donné qu'il m'a rappelé ces classiques éternels, je me suis (re)dit : « tiens, si pour une fois ma chronique se la jouait un peu différente et tentait d'atteindre le niveau de virtuosité étalé dans ce roman ? ». Bonne idée Lulu, on va se la faire façon Suppléments au voyage de Bougainville ou Les Lettres Persanes. Ou Actarus écrit à Minardos de la Terre. « Vous avez compris l'idée. » ( © Paul Z Wood)
Allez, c'est parti !
« Voilà déjà un mois, mon très cher Président, que vous m'avez envoyé en mission d'observation au Royaume de Tagell (prononcer Tagueule). La capitale, Lalanieu (soi-disant un hommage à l'un de nos plus grand poète Francis Lalanne) n'est pas très jolie, le monarque, un peu fat est également sanguinaire à ses heures. Je loge dans un bouiboui tout à fait incommode mais qu'y puis-je ? Il faut bien se fondre dans le paysage local pour s'imprégner de cette culture, nouvelle à mes yeux, et que vous-même allez découvrir .
J'ai eu la chance insigne de tomber nez-à-nez avec un homme tout à fait charmant, dont le nom est Wood. Celui-ci a entrepris de me raconter son royaume au travers d'une histoire qu'il a lui-même écrite et qu'il a appelé La horde noire.
De fait, je peux citer, en toute aisance et avec la foi de l'écrit, des morceaux de ce récit héroïque puisque mon brave ami m'y a autorisé. Je peux vous dire qu'en fait, ici c'est un peu le paradis.
Les gueux sont des gueux, il ne servent pas à autre chose qu'à rester des gueux. Il sont utiles parfois néanmoins, à l'adolescence, dans une sorte de joute aux arcanes diffuses (Le Bourrinage) : « Autant dire que crève-la-faim et culs-de-jattes sont sur-représentés dans cette profession ô combien précaire ». Cette profession n'en n'est pas réellement une en fin de comptes, il s'agit plutôt de lutteurs ados qu'on appelle « les bourrinés » et qui ne servent donc qu'à être battus. La basse populace sait donc rester à sa place (dehors comme des clodos, ou dans des bouibouis pires que le mien, mais pour eux c'est mérité) et même quand elle se révolte, tout revient vite à la normale, comme chez nous : « toutefois, si la nature fait que certains hommes sont supérieurs à d'autres, ce n'est pas par hasard. Un crève-la-faim, même s'il s'assied sur le trône d'un roi en exil, reste un crève-la-faim et agit comme tel. Trop occupés à pondre des lois sur la chasse au hérisson-ventouse ou la limitation du viol collectif à une femme pour six hommes. ». Vous noterez, cher Président, que le gouvernement en place est de droite tendance royaliste évidemment (ce qui ne saurait vous déplaire) pour notre plus grand bonheur et une meilleure humanité. Ici, les gauchistes, en gros les mêmes que les gueux, sont les Fauchistes (sorte de mot-valise qui me rappelle à la fois « faux » et « gauchiste », mais aussi "fasciste"). Il sont bêtes et méchants, ignares et perdants, cradingues et corrompus, tout comme chez nous. Il est évoqué « l'organisation d'une randonnée citoyenne et solidaire dans les Monts Stal-In, l'envoi de vêtements solidaires aux réfugiés ritalos, la rédaction d'un chant égalitaire et et solidaire et citoyen à la gloire des nains victimes de Frapaniou (le sympathique régnant local). » Mais il n'y a point à s'en faire, concernant les gauchistes/fauchistes car « Tagell était riche, on achèterait leurs dirigeants ». Heureusement qu'un gauchiste ne sait point résister à l'odeur de l'argent.
Voici également un royaume qui sait ce qu'est une femme, une vraie, et sa place ne varie pas d'un iota avec le temps, quelle chance : la reine est une catin, comme pour bien montrer qu'une femme n'a de toute façon pas d'autre intérêt que de servir l'homme autrement que comme objet sexuel et reproductif. Toutes les femmes sont des catins. D'ailleurs, le texte de Wood nous confirme cette magnifique idée : « Un jeune […] qui ne ramone pas une paysanne c'est aussi invraisemblable qu'un German pacifiste ».Vous noterez au passage qu'ici aussi les Germans sont les méchants, cela nous rassure quant à notre lucidité nationale (même combat pour les ritalos). La reine est donc l'archétype de la femme dans ce royaume, elle fait ce qu'elle doit faire et s'en tient plus ou moins à ce rôle : « Setoufu (la reine), elle, ne se serrait rien du tout, elle ouvrait, écartait tout. » Le bon verbe au royaume de Tagell, à ce propos, pour décrire cette fornication où la femme est agréablement soumise à l'extrême, c'est « labourer ». Par exemple, pour décrire l'étreinte du roi et de son ancienne femme Gadeline, on peut lire : « il la laboura promptement ». Très jolie expression, imagée comme il le faut.
A propos de sexualité, le royaume prône l'apologie du vrai mâle, tel qu'il se doit. Le fils du roi, Mitou, héros de l'épopée La horde noire, apparaît comme un cas hélas malheureux. Son père a craint pour lui qu'il ne soit homosexuel, évidemment la pire honte qui soit, comme chez nous : « Craignant que son fils vire tapette, Frapaniou s'occupa personnellement de l'éducation de l'avorton maladif », […] « et cela, mes amis, en Tagell, passer pour une tarlouze ça ne pardonnait pas. » D'ailleurs, il s'avère que la quête de cette « geste » qu'est la horde noire n'est autre qu'une honorable expédition punitive contre des « gouines ». Et oui, cette fameuse horde noire serait composée de « sortes d'amazones, mais qui mettent des doigts au cul. » ; et d'ailleurs « si les goudous remettent ça, on est dans la merde » conclut avec à-propos un personnage. Il était donc temps de faire quelque peu le ménage puisque, de toute façon, même si elles sont gouines il est bien connu « qu'avec les femmes, on peut toujours s'arranger ». J'en ai les mirettes admiratives, tant cette quête magnifique et essentiellement nous rassure sur la question Où va le monde ?. A Tagell, on ne fait point les choses à moitié, on ne vit point les événements à demi, et l'on dit et fait ce que l'on pense, surtout si l'on a la chance d'être un nanti, d'appartenir à une élite. Les hommes doivent, comme on l'a dit, être de vrais hommes, point. S'ils montrent de la faiblesse, de la pusillanimité, une différence, c'est que ce sont des déviants, comme est d'ailleurs décrit Ottomar, le mentor du prince héritier Mitou : « La véritable nature d'Ottomar était faible, inconsistante, artiste. Ses chansons, c'étaient des chansons d'amour où il était question de fillettes joufflues bavant devant les énormes sucettes des messieurs. » Cher Président, je vous suggère dans cet apparté de couper le cordon des bourses du ministère de la culture, même si vous avez déjà sorti la paire de ciseaux, car voici une solution toute trouvée - et qui relève du génie – à ce fléau qu'est la pédophilie...
En outre, s'il faut chasser les étrangers, ils le font à Tagell. Comme avec les nains, ce peuple idiot du Prignioul qui « à en croire Nordukk (la carte du monde), avait une superficie trois fois inférieure à celle de Tagell, ce qui était déjà pas mal, surtout pour des nains, qui comme ils sont plus petits, ben ils prennent moins de place. ». Notons qu'en plus de tout cela ces nains sont sodomites et nous aurons fini de frémir et serons rassurés de savoir qu'ils restent très loin de nos frontières. Merci bien.
Je finirai en vous assurant que je me suis vraiment régalé du récit de Wood, un très grand écrivain dont le style incroyablement maîtrisé porte la vulgarité au sommet du bon goût de la langue française, comme si c'était naturel, pour servir un fond vraiment mémorable. Il y a quelque chose de Rabelais en lui (sans le côté gauchiste) ; ou comme le dit si bien son éditeur local il est « digne d'un Chateaubriand sous amphétamines ». Nous lui rendons ici hommage, bravo l'artiste.
Très cher Président, je vous dis à très bientôt pour une nouvelle lettre du royaume de Tagell,
Votre dévoué serviteur XXX »
Vous l'avez bien compris, il faut mettre ce livre de « pathetic » fantasy entre toutes les mains. Voici un chef-d'œuvre dont on se souviendra longtemps, surtout pour son fond d'une pureté et d'une intelligence incroyables, qui mérite toute votre attention, contrairement à ce que prétendait mon frère jumeau dans son mail. Je suis limite fâché contre lui : il n'a visiblement aucun goût. A œuvre exceptionnelle, note exceptionnelle, comme je vous laisse le découvrir.
0,5 /10 Franchement, Paul Z Wood extermine Pratchett et Dufour réunis, fait passer Martin Millar pour un vulgaire marchand de tapis, Barry Hughart pour un pigiste intérimaire du Ouest-France, Jasper Fforde pour le Marchand de Sable. Son éditeur le situe quelque-part entre les Monty Python et Groland. Que nenni ! C'est lui faire un affront ! Il est sans doute au niveau du plus grand comique français de tous les temps jadis révélé par l'émission La Classe : Pompom.
L'ex d'ici et d'à côté