Fiche n° 895 : Plaguers de Jeanne A-Debats

Publié le par Librairie CRITIC

Couverture :
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Résumé :
La terre est épuisée écologiquement, les animaux se sont éteints et l’air est à peine respirable. Seul atout de l’humanité : les réacteurs Alyscamps qui puisent l’énergie dans les dimensions non exprimées de la réalité.
Dans ce monde les adolescent sont victimes d’une étrange maladie, la Plaie, qui les rend capables de créer ex nihilo, semble-t-il, toutes sortes de créatures, voire de commander aux éléments.
Le monde les rejette.

Quentin est un Plaguer, sous ses pieds jaillissent des sources, et celle qu’il aime, Illya, fait fleurir les orchidées partout où elle passe. Ils se rencontrent lors de leur incarcération dans la Réserve parisienne…

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Mon avis :
Voici bien un des tous meilleurs romans d’anticipation que j’ai lu depuis très longtemps ! Je suis admiratif devant la qualité, que dis-je ; les qualités nombreuses de cette histoire qui passe de la dystopie la plus angoissante à une utopie emplie d’espoir. Plus qu’un roman, c’est aussi – et peut être plus encore - une fable humaniste, un conte idéaliste qu’il faut accepter comme tel.

Jeanne-A Debats avait marqué l’année 2008 avec sa Novella La vielle Anglaise et le continent. Plaguers confirme sa place (s’il en était besoin) parmi les auteurs français de talent… mais Plaguers peut aussi prétendre  (ça n’engage que moi) appartenir au  monde de la littérature blanche et peut se réclamer d’une parenté même lointaine avec Malevil de Robert Merle (dont Jeanne Debats pratique le métier)… d’ici à ce que 10-18 s’intéresse à ce texte, il n’y a qu’un pas !

Ce livre sort du lot à un autre titre : le style, l’écriture en font une lecture facile, agréable ; en un mot comme en cent, il se lit d’une traite ! Le narrateur est le personnage central qui entre sa densité intrinsèque, sa « bonne nature », la découverte progressive d’un nouvel univers et le deuil de son adolescence dorée donne de la substance autour du fil rouge de son évolution vers… une autre vision de la maturité.
Nous avons affaire à une belle plume, ne boudons pas notre plaisir : dialogues enlevés, tonalité douce-amère, personnages attachants, introspections opportunes du « héros », construisent un récit très bien équilibré, qui sonne juste, sans temps mort et paradoxalement sans véritable « action » ou pic d’adrénaline … apaisant.

Nous sommes dans un futur pas si lointain où le monde est pollué au-delà de tout espoir et où l’humanité est vouée à sa perte, par la famine généralisée, la maladie, l’empoisonnement…, Paris et la société sont à l’agonie, dans une ambiance de « Péché mortel » de Béhé et Toff. L’action se situe dans un monde post-apocalyptique où – trop tard – la science a trouvé une source d’énergie illimitée, non polluante, mais onéreuse et difficile à contrôler ; les générateurs Alycsamps qui sont rares et réservés à des usages choisis. En parallèle sont apparus des phénomènes incompréhensibles et non prédictibles de mutations génétiques aléatoires d’enfants ou d’ados qui se trouvent dotés de « pouvoirs » variés rapidement stigmatisés sous le nom de « plaie ».
Ces jeunes, appelés « Plagueurs » peuvent avoir différents types de pouvoirs, les élémentaux, les botaniques, les animaliers, etc.. Dans un monde apocalyptique, ou règne misères et désordres sociaux,  il n’en fallait pas tant pour leur faire porter la responsabilité des maux de l’humanité et pour les voir enfermés dans des ghettos auto-administrés par les plaguers eux-mêmes, que l’on appelle des réserves.

C’est dans l’une d’entre elles, la réserve parisienne, que se situe l’action centrée autour de Quentin, mutant produisant des sources d’eaux et fils d’un membre éminent du Gouvernement, et d’Illya, fille des inventeurs des générateurs Alyscamps, qui engendre des fleurs et qui, via une thérapie génique, se retrouve prisonnière d’un corps d’homme, ce qui ne va pas sans poser quelques… difficultés. Deux autres couples, Honoré et Brahim ainsi que Fred et Laila vont rejoindre nos deux héros pour un apprentissage et des péripéties « adulescentes » donc agitées et assez hormonales ! On trouve au sein de la réserve des pouvoirs de mutants – concept relativement banal aujourd’hui – qui changent radicalement de ce que nous avons déjà pu connaître par ailleurs ainsi qu’une hiérarchie novatrice en les personnes des Uns ou des Unes, l’évolution première des plaguers jusqu’aux Multiples à un stade plus avancé encore.
Plusieurs thèmes ressortent assez nettement : l’opposition entre une planète sinistrée, exsangue, gouvernée par la nécessité, l’individualisme, la contrainte et les Réserves, des enclaves qui sont de véritables Edens ou l’initiative individuelle, le bon sens et un communautarisme bon tain rendent le quotidien idyllique ou peu s’en faut.

Un autre thème évident : on trouve à l’extérieur la peur, la haine et donc la violence envers la différence de race, de mœurs, de culte, de compétences qui au sein de la réserve,  et du fait des différences et dangers portés par chacun, sont acceptée comme mineurs et allant de soi, et pour cause, nécessité et bon sens font loi !

De façon générale, sur le plan planétaire, local ou personnel l’auteur pose un conflit très binaire entre la couleur, le renouveau, la jeunesse, l’écologique,  la connexion à la trame du monde de cette jeunesse honnie et le rance, le mourant, le racorni, le sale, le vieillissant d’un monde terminé.

Jeanne-A Debats nous rapproche de questions existentielles sur le devenir des prochaines générations en imaginant un homo supérior malgré lui et une vision de Gaia mâtinée de spirituel et de scientifique à la fois. Un final original et rempli d’espoir ou le conte, la fable prévaut sur le roman ; on décroche franchement de la science-fiction pour idéaliser - et simplifier, disons-le – la survenue de la conclusion et de l’épilogue. En leur temps, René Laloux et Roland Topor auraient pu être tentés de mettre tout ça en image !

8,5/10 Si on peut trouver dans Plaguers un sacrifice à l’effet de mode ( !) un rien répandu ( !) qui veut que des adolescents écorchés vifs et idéalistes se retrouvent dans un huis clos pour refaire le monde, la trame de fond, la portée du message,  la qualité de l’écriture et le final en font un livre à lire absolument.  Jeanne-A Debats nous régale en nous livrant un roman transgénérationnel, sciemment candide,  qui balaye l’air de rien une foule de concepts et d’idées plus profonds qu’il y paraît.

P.-S. : mais qu'est-ce que c’est que cette couverture ? Après la reprise des couvertures de Genkis  (nominés aux razzies !) pour le Cycle Honor Harrington, on pouvait espérer que L’Atalante arrêterait de s’illustrer de la sorte (sans jeu de mots !)

Christophe

Publié dans Critiques SF

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