Fiche n° 914 : L'or et la toise (Ceux des eaux mortes, 1) de Brice Tarvel
Couverture :
Résumé :
« Mon nom est Renelle et, si je suis grosse, c’est parce que je n’ai jamais aimé donner ma part aux autres. »
La Fagne est un pays maudit, un pays d’eaux mortes. Deux fois maudit, par la faute des alchimistes qui ont déversé des siècles durant, dans ses rivières et ses marais, les produits de leurs expériences ; par la faute du magicien Vorpil et de son terrible maléfice : lorsqu’en Fagne du Nord, tout ou presque est soumis à un sortilège de grandissement, en Fagne du Sud, c’est un rétrécissement qui frappe choses, bêtes et gens. Dans un paysage aussi lugubre, au milieu d’un grouillement de monstruosités, on peut croiser des traîne-vase à la recherche d’un trésor, une sorcière obèse, ou de jolies damoiselles frappées de la maladie des eaux souillées…
C’est toujours un plaisir que de voir la Fantasy se souvenir de ses origines, pas seulement des légendes héroïques, mais aussi de ces contes paysans de la veillée d’hiver, lorsqu’on échange des histoires à faire peur, un peu coquines tout de même, avec un sourire en coin pour dénouer l’angoisse. Le talent de conteur de Brice Tarvel, porté par une langue aux accents rabelaisiens, se révèle là tout entier.
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Mon avis :
Chouette me suis-je dit, voici qu’arrive chez Mnémos un roman du scénariste de Mortepierre, sympathique cycle de BD paru chez Soleil. De l’auteur, je ne sais pas grand chose, mais j’ai pu voir qu’il avait repris quelques héros populaires comme Harry Dickson. Avec l’Or et la Toise, il nous livre une partition plus proche de sa production BD, où s’exerce son goût du jeu de mot et du néologisme.
La Fagne est un drôle de pays imaginaire séparé en deux qui a subi un sort du magicien Vorpil ; d’un côté tout y a rétréci, de l’autre tout y est plus grand. Ouh, le méchant Vorpil, il n’aide pas ce coin de paradis déjà pourri par des alchimistes peu scrupuleux à sentir la rose et à respirer le bon-vivre. Pour contrer le sort de Vorpil, il n’existe qu’une seule solution (non ce n’est pas d’appeler l’Agence tous risques) : le Toiseur, un elixir, « encore appelé pousse-pouce ». Le «remède permettait d’être exempté de grandir dans le fief du Nord et de ne pas se métamorphoser en brimborion quand vous habitiez la fagne méridionale. » Rien que ça.
Dans ce contexte, nous suivons plusieurs personnages, Les mystérieux Clincorgne et Jodok (jamais crédibles hélas), mais aussi la princesse déshéritée Candorine et sa servante pour qui rien ne va puisqu’elles sont enfermées dans une cage. Bref, survivre dans la Fagne, c’est difficile. Pour le lecteur aussi, soyons honnêtes. Brice Tarvel a sans doute du talent et beaucoup d’idées, mais le foutoir règne dans ces pages. D’abord, le style est un frein à la lecture : souvent ampoulé, gorgé d’artifices inutiles et d’adverbes : (ex page 10) « se répandit petitement » ; « il fut très vélocement source », etc.). On nous parle de langage « vernaculaire », mais, s’il y a quelques trouvailles, des néologismes de bon aloi, ce langage est avant tout un adjuvant « parasite », qui aboutit à une seule chose : un récit alourdi.
D’ailleurs, il manque clairement un lexique, tout le monde n’a pas fait d’études de lettres classiques et, quand on ne comprend pas un mot sur quatre, il devient difficile de tourner les pages. J’exagère un brin, certains mots ont droit à une note de bas de pages… et, aussi étonnant que cela puisse paraître, les mots expliqués sont ceux que l’on parvient assez facilement à comprendre avec le contexte de la phrase. Ajoutez à cela le paradoxe qui consiste à pourtant utiliser des termes purement XXème siècle ( ex page 16, « graphisme »), et vous aurez une idée de ce qui vous attend dans ce roman mal maîtrisé, mal corrigé (comment peut-on laisser passer une lourdeur comme « on racontait que, presque en permanence vautré sur une couche… », « les infectes rejets », pages 16 et 19), qui ne trouve jamais son ton. Au départ, avant de commencer, je pensais tomber sur un roman de fantasy classique suggéré par la couverture : première erreur, cette dernière, trompeuse mais belle, colle à peine avec le sujet. Ensuite, j’ai cru tomber dans un conte pour gosses (le prologue) puis une fantasy humoristique pas très drôle (le passage avec la sorcière au tout début est juste illisible). Mais non, il y a un décalage entre le ton et l’action qui ne se résout jamais, tant et si bien qu’on arrive à la moitié du roman et que l’on reste à quai, à côté de la narration, sans jamais faire l’effort de rentrer dans ce récit vite énervant et caricatural. On finit quand même, pour rédiger cette chronique. Dommage.
Comme nous le disions, Brice Tarvel ne manque pas d’imagination. Certaines trouvailles sont bonnes, évocatrices. Son univers, s’il avait été mieux pensé et défini, est plein de potentiel. Mais hélas, nous n’y lisons qu’une sorte de brouillon mal dégrossi. Ma première chronique ici, a des allures de bizutage…
4.5/10 Mnemos alterne le bon (Yoss, Niogret, Hostein) et le moins bon (Béorn, Nell, Cardot) depuis quelques temps. Il y a à boire et à manger, mais au moins ils nous font découvrir de nouveaux auteurs français – on leur pardonnera donc certains ratages, comme ce roman de Brice Tarvel. Mais, débarrassé de ce style ampoulé et en atténuant les effets de son langage « vernaculaire », Brice Tarvel pourrait très bien remonter la pente et donner à son tome 2 un tout autre visage.
Chester Strike.